Article | 02 Avr, 2020

Explorer les possibilités d’investissements privés dans la conservation, sur le plan conceptuel et dans des contextes concrets

Nouvelles du CEESP: par Masego Madzwamuse (Présidente) et Caroline Seagle (Vice-présidente), Thème de la CEESP sur les entreprises, la responsabilisation et les meilleures pratiques (TBBPA)

Les termes « investissements privés » et « conservation » semblent diamétralement opposés, même si l'on a pu observer une croissance du nombre d'alliances entre entreprises et conservation ces dernières années. La Coalition pour l'investissement privé dans la conservation (CPIC), lancée lors du Congrès mondial de la nature en 2016, a réuni des sociétés financières telles que le Crédit Suisse, des institutions universitaires comme l'université Cornell, ainsi que des groupes de conservation tels que The Nature Conservancy, BirdLife International, Conservation International et l'UICN elle-même. 

Montagne ancestrale du peuple Antanosy du sud-est de Madagascar ; les villageois ont été déplacés à cause de l'explosion d'une carrière de roche pour construire un port international pour la mine d'ilménite de Rio Tinto/QMM. Rio Tinto a formé des partenariats avec l'UICN et plusieurs ONG de conservation, et s'engage dans des compensations controversées de la biodiversité à Madagascar (voir la vidéo). Photo copyright C. Seagle, 2009

L'objectif du CPIC est de promouvoir « des investissements significatifs dans le capital naturel ». En effet, le capital naturel (CN), approuvé par l'UICN par le biais du soutien apporté à la Coalition pour le capital naturel (Natural Capital Coalition) et au Protocole pour le capital naturel (Natural Capital Protocol), a été un moyen essentiel pour les investissements privés de s'orienter vers la conservation. Les protocoles établis sur le capital naturel, essentiellement à l'initiative des entreprises, cherchent à prendre en compte, quantifier et évaluer économiquement la biodiversité dans la mesure où elle est affectée par les entreprises, notamment les industries extractives. 

Les mécanismes tels que les compensations pour la biodiversité, les paiements pour les services environnementaux (PSE) ou la réduction des émissions issues de la déforestation et à la dégradation de la forêt (REDD) sont au cœur des cadres utilisées pour le capital naturel. Ils se basent sur le raisonnement selon lequel la détermination de la valeur économique de la nature nous permet d'être mieux à même de la « sauvegarder ». L'UICN a également établi des partenariats avec le secteur minier, comme le partenariat sur le capital naturel conclu avec la multinationale Rio Tinto en 2010. Le Programme de compensation pour les entreprises et la biodiversité (BBOP, Business and Biodiversity Offset Programme), ainsi que le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (CMEDD), mettent aussi en lumière une multiplication des cadres institutionnels entourant la participation du secteur privé à la conservation. 

Les investissements privés dans la conservation sont passés de 5 milliards USD en 2013 à plus de 8 milliards USD en 2015, selon le  HYPERLINK "https://www.forest-trends.org/publications/state-of-private-investment-in-conservation-2016/" rapport 2016 d'Ecosystem Marketplace sur l'état des investissements privés dans la conservation. Le rapport a recensé les investissements dans trois catégories : la production durable d'aliments et de fibres – 6,5 milliards de dollars USD, la conservation des habitats (notamment les échanges de crédits carbone forestiers, les compensations, etc.) – 

1,3 milliard USD et la qualité de l'eau (incluant la protection des bassins versants, les échanges de droits d'eau et de crédits d'eau, etc.) – 0,4 milliard USD. En juillet 2019,  HYPERLINK "https://spaceforgiants.org/2019/07/01/press-release-space-for-giants-working-paper-building-a-wildlife-economy-2/" Space for Giants a annoncé deux nouvelles initiatives d'investissement dans la conservation pour le Gabon et le Zimbabwe, après avoir obtenu le déblocage de 60 millions USD pour sa phase pilote en Ouganda. L'accroissement des investissements, s'il a pu faire l'objet de critiques, a fourni des capitaux innovants et indispensables à la conservation.  

Un besoin urgent de points de vue critiques 

Des lacunes subsistent dans ces approches fondées sur le marché qui consistent à compenser la disparition de l'environnement par une indemnisation économique. De nombreux membres de la CEESP ont été en première ligne pour exprimer des points de vue critiques sur le capital naturel, et des événements ont été organisés à cet effet au cours du Congrès mondial de la nature 2016.  Tant des universitaires que des militants ont critiqué les investissements privés dans la conservation. L'une des principales préoccupations tient au fait que les évaluations de la valeur économique de la nature pourraient porter atteinte aux diverses conceptions culturelles et utilisations traditionnelles des terres dans différents contextes et perturber les droits fonciers et les régimes d'accès locaux et autochtones. 

Exploring private investments in conservation, conceptually and in concrete settingsPhoto: Screenshot from the World Forum on Natural Capital.Exploring private investments in conservation Accessed 01.03.2020.
Si les mesures visant à évaluer la nature sur le plan monétaire alimentent les discours promettant de « sauvegarder » la nature des facteurs mêmes de sa disparition (par exemple, le développement et les industries extractives), le capital naturel s'appuie néanmoins sur les mêmes justifications que celles des activités nuisibles à l'environnement. La question est la suivante : Comment les investissements privés dans la conservation peuvent-ils prendre en compte des relations sociales et écologiques complexes ? 

"Mesurer (le capital naturel), c'est savoir. Si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas l'améliorer". Capture d'écran du Forum mondial sur le capital naturel, consultée le 01.03.2020

Où cela fonctionne-t-il ?

Cependant, les investissements n'ont pas tous des résultats négatifs. Quelles sont les entreprises qui appliquent les meilleures pratiques et celles qui ne le font pas ? Quels types de cadres de responsabilisation et d'éthique sont présents ou absents de ces mécanismes ? Par ailleurs, les communautés locales et autochtones ne s'opposent pas toutes à ces investissements ; certaines pourraient les accepter car ils pourraient avoir des résultats positifs sur la santé, les opportunités économiques et même la sécurité humaine. Il est important d'identifier les entreprises qui adoptent les « meilleures pratiques » afin de les donner en exemple pour les futurs investissements. 

     Fondamentalement, en tant que groupe, nous avons la possibilité et la responsabilité de déterminer ce que signifie « faire les choses correctement ».     

Étapes à suivre pour le TBBPA  

Le TBBPA (Thème de la CEESP sur les entreprises, la responsabilisation et les meilleures pratiques) s'est concentré sur deux principaux domaines de préoccupation : 1) les défenseurs de l'environnement et 2) les investissements privés dans la conservation. 

Lors du Congrès mondial de la nature de l'UICN en 2020, le TBBPA et la CEESP lanceront un numéro spécial de Policy Matters consacré aux défenseurs de l'environnement. Les articles porteront sur les investissements privés dans la conservation, ainsi que les réactions et les mouvements de résistance qu'ils suscitent.  

En mai 2020, dans le cadre d'un événement préalable au Congrès, le TBBPA organisera un webinaire entièrement consacré aux investissements privés dans la conservation. Le webinaire comprendra une table ronde d'intervenants de renom et un dialogue multilatéral (incluant des représentants du secteur privé, des populations locales et autochtones, du monde universitaire, des membres clés de la section Entreprises et biodiversité de l'UICN et de la direction de l'UICN). Le webinaire sera ouvert à tous, et sera suivi d'une discussion en ligne. 

Remarques de conclusion

Compte tenu de l'augmentation des investissements dans la conservation depuis le dernier Congrès, le moment est venu de faire le point sur ces évolutions et engager un débat animé, en examinant la manière dont les investissements privés dans la conservation fonctionnent, à la fois sur le plan conceptuel et dans des contextes concrets. Lors du Congrès mondial de la nature de 2016, la CEESP s'est engagée à faire de la défense des « différentes valeurs de la nature » l'un de ses principaux objectifs. Il est clair que l'UICN et la CEESP doivent approfondir les débats sur les logiques sous-jacentes et les configurations des parties prenantes associées aux investissements privés dans la conservation, en se concentrant davantage sur les processus de mise en œuvre réels, les succès et les échecs. Des dialogues multipartites incluant des entreprises, mais aussi des représentants locaux et autochtones et les gouvernements doivent avoir lieu afin d'avoir une conception équilibrée. 

Masego Madzwamuse (Présidente) et Caroline Seagle (Vice-présidente), Thème de la CEESP sur les entreprises, la responsabilisation et les meilleures pratiques